Comment devient-on parfumeur ?
Créer une ambiance, représenter un souvenir, dépeindre un rêve… Coup de projecteur sur les différentes facettes d'un métier bien singulier.
Mettre une émotion en flacon et enivrer les esprits n'est pas donné à tout le monde. Un travail de longue haleine attend celui ou celle qui veut obtenir le pouvoir de marquer les nez. Le prix à payer : une méthode rigoureuse et de longues années d’apprentissage. Edmond Roudnitska, célèbre parfumeur du XXème et créateur de la fameuse Eau Sauvage de Dior, décrivait lui-même sa carrière comme « laborieuse, exigeante, parfois même ingrate, car semée de déceptions, de problèmes non résolus et de pièges ». Cela ne fait pas vraiment rêver, et pourtant…
Qu’est-ce qu’un parfumeur ?
Pour Jean-Claude Ellena, nez légendaire de la maison Hermès, « L'odeur fait partie de notre vie, de notre quotidien, sans que l'on n'en perçoive l’importance ». Le métier de parfumeur est précisément celui de retranscrire olfactivement une idée, une image ou une émotion, à l’aide des centaines de molécules qui sont mises à sa disposition. À la fois artiste et chimiste, il lui est nécessaire d’avoir une connaissance encyclopédique des odeurs naturelles – celles que l’on peut extraire de la nature – mais aussi de synthèse – celles créées en laboratoire.
Dans le jargon de la parfumerie, le parfumeur est souvent qualifié de « nez », réification peu appréciée de certains professionnels qui préfèrent largement le qualificatif sobre de parfumeur, celui plus large de créateur ou bien encore celui “d’artiste de l’odorat”, qualificatif dont se réclame Alessandra Gualtieri, créateur de la marque Nasomatto.
Les formations qui mènent au métier de parfumeur
Pour exercer ce métier, il est préférable de s’orienter vers une voie scientifique dès le lycée, car de solides connaissances en chimie et en physique sont requises. En effet, les écoles de parfumerie recrutent le plus souvent des étudiants licenciés en biochimie, en chimie ou biologie. En France, les établissements supérieurs les plus reconnus sont l’ISIPCA (Institut Supérieur International du Parfum de la Cosmétique et de l’Aromatique Alimentaire) à Versailles, et l’École Supérieure du Parfum à Paris. Il existe toutefois une autre voie royale menant au métier de parfumeur : intégrer l’école de parfumerie interne d’une grande maison de composition comme Firmenich et Givaudan est la garantie d’une formation de la plus haute qualité. Il est cependant très difficile d’y accéder : le nombre de personnes sélectionnées chaque année se compte sur les doigts d’une main…
Diplôme d’école de parfumerie en poche, le travail ne fait que commencer car il est bien rare que quiconque crée directement des parfums pour des marques clientes. Les apprentis nez deviennent le plus souvent les assistants de parfumeurs plus chevronnés qu’ils seconderont dans leurs créations pour apprendre le métier. Ce n’est qu’avec de longues années de pratique que l’expérience leur permettra de créer en autonomie pour leurs projets.
Les différents métiers du monde de la parfumerie
Nous savons tous que nos rouges à lèvre, mousses à raser, dissolvants ou cires fixatrices contiennent du parfum. Mais combien d’entre nous ont pris conscience du fait qu’un nez se cache derrière chacune de leurs odeurs ? Et pourtant, un parfumeur spécialisé fait systématiquement partie du processus de création du produit. On distingue 4 catégories de parfumeurs :
- Les « parfumeurs créateurs » : Leur but est de concevoir harmonieusement la formule finale d’un parfum via un assemblage de matières premières. Il peut travailler pour la parfumerie fine (aussi appelée “Fine Fragrance”), c’est-à-dire les eaux de toilettes et de parfums sous forme alcoolique ; pour la parfumerie fonctionnelle, c’est-à-dire les produits pour la maison (détergents, parfums d’ambiance...) ; ou bien encore pour le corps (cosmétiques, gels douches...).
Ils se divisent eux-même en 3 catégories, selon leur statut :
- Le “parfumeur salarié” : il appartient à une maison de composition et travaille sur les projets de différentes marques clientes.
- Le “parfumeur maison” : aussi appelé parfumeur « In House », sa fonction est de créer des parfums pour une seule et même marque à l’instar de Christine Nagel chez Hermès ou encore de Thierry Wasser chez Guerlain.
- Le “parfumeur indépendant” : celui-ci est le gérant de sa propre entreprise et formule pour sa propre marque ou pour le compte d’autres marques, généralement confidentielles.
- Les « parfumeurs ingrédients » : Ce sont des spécialistes des matières premières qui vont, grâce à leur expertise, enrichir la palette olfactive offerte par les laboratoires et sociétés de matières premières au sein desquelles ils travaillent.
- Les « parfumeurs analystes » : Leur mission est d’étudier les différents produits du marché et d’en étudier la composition grâce à des méthodes d’analyse comme la fameuse Chromatographie en Phase Gazeuse / Spectrométrie de masse (ou GC-MS pour les intimes). Cette analyse permet aux parfumeurs de mieux cerner les tendances du moment pour développer des produits en adéquation avec les demandes des consommateurs, qui peuvent varier d’un marché à un autre.
- Les « parfumeurs techniques » : Leur rôle est d’ajuster la formule d’un parfum existant, pour l’adapter sur une gamme de produits dérivés comme par exemple des crèmes ou les gels douches. Pour cela, il est important de s’assurer de la stabilité de la formule, de la conformité à la législation ainsi que de la conservation de l’odeur du parfum final.
Qui recrute les parfumeurs ?
Il existe plusieurs sociétés qui font appel à des nez pour le développement de produits odorants. Les maisons de composition – telles que Givaudan, Firmenich, IFF ou encore Robertet – proposent leur service de création et de développement de “Fine Fragrance” pour de grands groupes comme L’Oréal, Puig, LVMH, Coty, Shiseido ou encore Interparfums. Toutefois, les marques de lessives, par exemple, sont parmi les plus importants clients des maisons de compositions, ce qui leur vaut le surnom pas très flatteur de “lessiviers”. La parfumerie fonctionnelle est certes moins médiatisée mais elle n’en demeure pas moins intéressante, au sens où elle permet des évolutions professionnelles intéressantes au sein des mêmes maisons de composition. Plus rarement, il est possible pour des parfumeurs ayant fait leurs armes chez les maisons de composition d’intégrer de grandes marques de luxe telles que Dior, Hermès, Guerlain ou encore Cartier qui possèdent leur propre laboratoire de création en interne.
L’olfaction ou l’art de développer un odorat surhumain
Une connaissance parfaite des matières premières est attendue de la part de l'apprenti parfumeur. Qu'elles soient naturelles ou synthétiques, le futur nez doit être capable d'identifier plusieurs milliers d'odeurs à l'aveugle et d'en identifier des propriétés subtiles comme l'origine ou le type (Vétiver d'Haïti ou de Java ?). Cet exercice d'identification et d'apposition de mots et de concepts sur les odeurs est sobrement appelé "olfaction" au sein des formations spécialisées.
L'olfaction est au parfumeur ce que les gammes sont au pianiste : sans une discipline de fer, les sens et les capacités s'émoussent.
En plus d'affiner son sens de l'odorat, l'exercice et la répétition permettent aussi de développer un langage commun avec les autres parfumeurs.
A titre de référence, un parfumeur junior doit être capable de mémoriser 3 000 odeurs environ dont environ 250 naturelles pour plusieurs milliers de synthétiques, souvent développées plus ou moins exclusivement par les maisons de compositions : on parle alors de molécules captives.
La formulation du parfum
Ce métier si fascinant ne s'arrête pas au fait de savoir différencier olfactivement les matières premières. Un parfumeur doit être capable de formuler des “accords” qui créeront à leur tour une toute nouvelle odeur. En fait, le métier de parfumeur pourrait être appelé Compositeur d'Odeurs : il assemble des matières premières de façon harmonieuse, tout comme un compositeur de musique combinerait les notes pour faire naître un morceau. Jean-Claude Ellena compare quant à lui le parfumeur à l'écrivain : "L'odeur est un mot, le parfum est la littérature".
Nous ne le répéterons jamais assez, arriver à créer un parfum – c’est-à-dire réussir à assembler des matières premières entre elles de façon harmonieuse – nécessite beaucoup d’expérience. Le parfumeur est avant tout un explorateur, toujours en recherche de terrains olfactifs inexplorés. Il analyse la façon dont les matières premières se combinent, scrutant celles qui dominent sur les autres ou se font au contraire discrètes et silencieuses. Le parfumeur, lors de la formulation, doit aussi veiller à la non-toxicité de sa composition au regard des exigences émises par l’IFRA (International Fragrance Association), organisme de régulation de l’industrie du parfum.
La création du parfum
Chaque parfumeur a sa façon de formuler, de créer. Après plusieurs années d’expérimentation, chaque nez établit ce que l’on appelle ses « palettes ». Il s’agit des matières premières que le parfumeur va sélectionner et avec lesquelles il compose ses formules. Ce sont en général des odeurs avec lesquelles il aime tout particulièrement travailler. Cette palette évolue au fil du temps et contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette palette peut être amenée à être réduite plutôt qu’à s’étoffer. Un parfumeur comme Jean Claude Ellena ne travaille qu’avec deux cent matières premières au pic de sa carrière.
Partant de cette palette, le parfumeur réalise alors ses essais : plus de 100 essais sont parfois nécessaires avant d’arriver à la formule finale.
La question du style en parfumerie
Dans l’industrie du parfum, certains parfumeurs ont leur propre signature olfactive. Ils arrivent à créer différents parfums tout en apportant leur touche créative, permettant ainsi de les différencier des autres créateurs. Ce sont grâce à ces empreintes olfactives que l’on arrive à détecter l’univers de chaque parfumeur. Par exemple, Vero Kern, parfumeur au style bien marqué, décrit son univers de cette façon : « J’aime déranger, j’aime l’étrange, le bizarre. J’adore combiner l’ancien et le nouveau, le beau et le laid ». Avec une signature tout aussi marquée, mais dans un style tout autre, Patricia de Nicolaï affirme de son côté « Je n’aime pas choquer. J’aime que les gens se sentent bien avec leur parfum, qu’ils les rassurent, un peu comme vous achetez une robe dans laquelle vous êtes tellement bien que vous pourriez parcourir le monde ».
Il existe à l'inverse des parfumeurs caméléons qui choisissent de ne pas introduire leur « patte » dans le processus de création de façon à livrer des créations totalement adaptées aux besoins de leurs clients.
Les outils de travail d’un parfumeur
Les parfumeurs travaillent rarement confinés dans des laboratoires. Ils préfèrent souvent composer depuis leur bureau de façon à éviter que leur nez soit déstabilisé et dérangé par les autres odeurs environnantes. Ils ont à leur disposition des touches (ou mouillettes) – ces longues bandelettes cartonnées que vous retrouverez dans n’importe quelle parfumerie ; ainsi que d’un porte mouillettes – sorte de support qui permet de rattacher plusieurs bandelettes entre elles, afin de sentir et d’étudier l’évolution de leurs essais dans le temps. Jamais sans leur carnet de notes, les nez ne manquent pas de recenser chaque observation sur leur création, ainsi que chacune des inspirations sur leur formule. Le parfumeur moderne est maintenant secondé de logiciels indiquant si leurs créations entrent en adéquation avec les changements de réglementation, la disponibilité des matières premières – un ouragan à Haïti signifiera parfois l'impossibilité de se procurer du Vétiver – ou encore avec le budget du client.
À quoi ressemble la journée type d’un parfumeur ?
Le quotidien d’un parfumeur est rythmé par différentes tâches. En général, il commence sa journée par sentir ses essais de la veille. Le matin est un moment propice à l’évaluation de ces accords, car il s’agit du seul moment de la journée où le nez est vierge et frais. Pour sentir, le parfumeur a besoin de silence et de neutralité pour se concentrer. Lorsqu’il crée des formules, il est constamment en relation avec les évaluateurs (conseillers des parfumeurs) et les équipes de marketing pour répondre au mieux aux attentes de ses clients. De nombreuses réunions peuvent ainsi s’enchaîner durant toute la journée, à côté des nombreuses modifications, évaluations et réajustements des formules. Il doit aussi être en mesure de traiter en parallèle quelques tâches administratives et de se rendre disponible pour communiquer et échanger en personne sur l’avancée du projet avec les clients.
Son quotidien bien chargé ne se résume donc pas à garder le nez plongé dans les parfums, mais à une véritable valse entre de nombreuses responsabilités.
Les qualités requises pour être parfumeur
Être parfumeur est un métier de l'ombre. Loin des projecteurs, il doit accepter la critique et les échecs. Pour percer, il lui sera nécessaire de faire preuve de curiosité, de patience voire même d'obstination. Là où il est facile de reposer sur ses acquis, le parfumeur ambitieux cherchera sans cesse à se renouveler en suivant les évolutions d'un marché en constant mouvement et fait de réglementations elles-aussi changeantes.
Être parfumeur est aussi un métier de voyage et de rencontre : à la découverte de clients prestigieux mais aussi de matières premières précieuses. Il s'agit d'un métier fait d'aventure et d'émotions. Un métier pas comme les autres, exigeant un investissement significatif en temps et en énergie mais qui peut impacter le quotidien de millions de personnes. Courage à l'aspirant parfumeur : la clef est sa seule volonté.