SOMMELIER DU PARFUM Blog
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Naturel ou synthétique : la réconciliation

En 2020, nos modes de vies se doivent de s’adapter à une ère nouvelle plus frugale et à la consommation plus responsable – qu’en est-il du parfum et ne devrait-il pas être scruté avec la même vigilance ?

Modifié le
2 mars 2021

Par
Elizabeth Kupervaser-Gould

Anton Darius @thesollers via Unsplash
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Généralement, parler de parfumerie "éthique" revient à discuter d'une polarité assez simple : naturel vs. synthétique. Jusqu'au XIXe siècle, la question ne se posait pas : tous les parfums étaient composés exclusivement d'ingrédients naturels. Mais dès le début du XXe siècle, chimistes et parfumeurs se liguent pour expérimenter l'utilisation de composés synthétiques. Le constat est sans appel : certaines odeurs nouvelles peuvent être créées et il revient sensiblement moins coûteux et plus facile de fabriquer de grandes quantités de certaines molécules odorantes. En outre, la capacité de reproduire des odeurs de la nature a décuplé la palette des possibilités. Des molécules pouvaient être créées sans que l'on puisse les extraire à l'état naturel, comme beaucoup de fruits ou encore le muguet, une fleur dite "muette" car son odeur ne peut pas être extraite naturellement. Soudainement, les parfumeurs ont à leur disposition des centaines de notes - tout cela sans avoir à récolter la moindre fleur.

A ses commencements, la parfumerie synthétique est parée de toutes les vertus : les essences d'espèces végétales rares ou menacées pouvaient être reproduites en laboratoire, comme le bois de rose ou le santal indien. Les muscs et civettes peuvent aussi être laissés tranquilles, car il est maintenant inutile d'extraire leurs précieuses glandes odorantes. Si l'évolution des parfums synthétiques facilite la préservation de la flore et de la faune, pourquoi continuons-nous à privilégier le naturel par rapport au synthétique ?

En réalité, le "naturel" et le "synthétique", concepts en apparence très opposés, se chevauchent considérablement. Beaucoup d'extraits synthétiques sont chimiquement identiques aux compositions que l'on peut trouver dans la nature, donc ils ne présentent ni plus ni moins que les mêmes propriétés que les molécules présentes naturellement. Si certaines molécules synthétisées comme l'eugenol ou le linalool peuvent être allergisantes ou irritantes, il en est de même de la molécule extraite naturellement. Par ailleurs, l'utilisation de la mouse de chêne naturelle est très encadrée, bien que naturelle et à l'inverse, de nombreuses molécules d'origine synthétique ont été interdites en raison de leurs effets disruptifs sur notre santé ou sur notre environnement. L'IFRA, l'organisme en charge de déterminer quelles substances sont utilisables en parfumerie, veille d'ailleurs à ce que les molécules, qu'elles soient d'origine naturelle ou synthétique, ne comportent pas d'effets néfastes, pour l'humain ou son environnement. Toutefois, certaines molécules et conservateurs d'origine synthétique (on peut penser au lilial, au lyral ou encore au fameux BHT) ont longtemps été utilisés ou le sont encore, en dépit de soupçons de perturbatation endocrinienne, notamment. De la même façon, certains muscs polycycliques – qui ne sont donc qu'une partie des muscs synthétiques – ont été mis en évidence comme polluants marins.

Plutôt que de rechercher le naturel à tout prix, il semblerait que la transparence et la mise au ban de certaines molécules encore controversées soient la réponse aux attentes nouvelles des consommateurs.

En poursuivant du point de vue de l'environnement, les composés synthétiques sont parfois décriés en raison de l'origine de leurs précurseurs, souvent issus de sous-produits de l'industrie pétrochimique. Si cela peut faire très peur, il faut simultanément réaliser qu'à molécule identique, il faut beaucoup plus d'énergie pour transporter puis extraire (le plus souvent par distillation) des matières odorantes dans la nature qu'en laboratoire. Si on prend la vanilline par exemple, ça veut dire d'abord exploiter un champ à Madagascar puis distiller les gousses puis transporter jusqu'en Europe la vanilline. Tout cela a un coût énergétique et stimule bien là aussi l'industrie pétrochimique de façon directe. La culture de ces matières premières entre par ailleurs parfois en conflit – par manque d'espace cultivable ou d'eau disponible – avec des cultures de subsistance pour les populations locales, ce qui constitue un contre-argument au tout-naturel.

Olfactivement enfin, une différences notable est que les molécules extraites naturellement sont accompagnées d'impuretés qui forgent un caractère unique à l'odeur. Les mêmes molécules extraites par voie de synthèse vont être plus pures et donc posséder moins de facettes olfactives.

Il ne fait aucun doute que l'équilibre est la clé. De nombreux parfumeurs constatent que les parfums synthétiques leur donnent une plus grande liberté d'expression, et la possibilité de donner vie à des idées abstraites comme l'air frais, le feu et la terre après une averse. D'autres espèrent préserver la tradition des ingrédients naturels et trouvent des moyens de récolter des matières par des moyens éthiques. Par coïncidence, ces deux approches se manifestent chez Nicolas Chabot, dont les deux marques Aether et Le Galion ne pourraient être plus opposées dans leur rapport aux ingrédients.

Nicolas Chabot a donné un nouveau souffle à la maison de parfum historique Le Galion, un joyau de la parfumerie Française pendant une grande partie du XXe siècle. Ses parfums emblématiques ont été créés en utilisant uniquement les meilleures matières premières, et la maison a même fourni la maison de parfum Christian Dior en extraits de fleurs naturelles pendant plus de 30 ans ! Ce clin d'œil au génie de Paul Vacher n'a pas échappé à Nicolas Chabot, qui a su conserver l'intégrité des parfums originaux avec beaucoup de succès, ne reformulant que le nécessaire tout en conservant tant que possible l'esprit original des parfums de Paul Vacher.

En parallèle de la renaissance de cette marque emblématique, Nicolas Chabot ne s'est pas arrêté là. Son idée avant-gardiste, Aether, met sur la table une idée radicalement différente de la parfumerie. Avec les parfumeurs Amélie Bourgeois et Anne-Sophie Behaghel, Aether a créé une ligne de parfums qui offre le même niveau de respect aux parfums de synthèse. Dans une interview, le créateur explique : "De la même manière que'avec Le Galion, où nous nous concentrons sur les meilleures matières premières, nous voulons nous concentrer avec Æther sur les meilleures molécules synthétiques, [...] Nous apportons vraiment quelque chose de nouveau sur le marché - une véritable nouvelle composition, entièrement basée sur des molécules synthétiques". S'éloignant de l'idée des notes synthétiques comme simples supports, Chabot réimagine ce qu'un parfum peut représenter, en invoquant les idées de la physique quantique, de la poésie ancienne et de l'exploration spatiale.

2020 pourrait bien être l'année où nous repensons notre rapport au parfum. Nicolas Chabot le voit certainement ainsi. Son dernier projet, Corps Volatils, combine cette synthèse entre ces deux pans indissociable de l'univers du parfum. Cette nouvelle collection est constituée de 12 parfums naturels et de 12 autres entièrement synthétiques. Chaque collection étant crée à partir des meilleures formules synthétiques et naturelles disponibles à l'heure actuelle. En collaboration avec les parfumeurs IFF Jean-Christophe Hérault, Caroline Dumur, Julien Rasquinet, Domitille Michalon Berthier et Nicolas Beaulieu, la ligne a été créée pour une utilisation moderne du parfum où la superposition et l'exploration des odeurs sont encouragés. La frontière entre naturel et synthétique est encore plus floue dans la façon dont la marque met l'accent sur la capacité de tous les parfums à provoquer des émotions. Une attention particulière a été accordée aux modes de production éthiques, de la récolte aux matériaux utilisés dans la conception des flacons.

Pour l'avenir, on peut considérer que des projets comme Corps Volatils sont l'exemple d'une recherche d'équilibre entre ces "yin" et "yang" de l'industrie du parfum. Préserver les méthodes traditionnelles tout en explorant les nuances et l'innovation que la technologie apporte. À mesure que nos modes de consommation et nos goûts évolueront, nous verrons ces mouvements se refléter dans le monde du parfum. Il est peut-être temps de laisser tomber les vieux paradigmes binaires et d'adopter le bien que chaque approche a à offrir, ainsi que la magie que les deux peuvent créer ensemble.